Le dernier jour d’un condamné
Contenu
- Date d'exposition
- 1870
- Artiste
- Munkácsy, Mihály
- Exposition
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Salon de 1870
- N° au Salon
- 2063
- Médaille obtenue
- Médaille unique
- Genre
- Peinture de genre
- Technique
- Huile sur bois
- Dimensions
- 119 x 170,5 cm
- Lieu de conservation
- Budapest, Magyar Nemzeti Galéria
- Anthologie critique
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Énault Louis, Le Constitutionnel, 10 mai 1870 :
« Un autre étranger, mais un Hongrois, celui-là, M. Mihaly Munkacsy, nous offre, sous ce titre : le Dernier jour d'un condamné, la toile la plus dramatique peut-être qu'il y ait au Salon.
On sait qu'en Hongrie, pendant les trois jours qui précèdent l'exécution, le public est admis à visiter le condamné dans sa prison. Un tel usage, s'il avait lieu en France, dans une ville comme Paris, donnerait lieu peut-être à ces manifestations cyniques et vraiment propres à vous faire rougir du nom d'homme, dont nous sommes les témoins chaque fois que l'échafaud se dresse sur la sinistre place de la Roquette. Mais la Hongrie est moins civilisée que nous ; elle est plus près de la nature, et elle n'éteint point sous les lazzi d'une froide ironie tout sentiment de pitié.
Ces enfants, ces femmes du peuple, ces ouvriers, ces paysans, en même temps qu'ils ont l'horreur du crime, ont aussi la compassion du criminel. On le voit à leur attitude grave et recueillie et à l'expression douloureuse de leurs physionomies honnêtes. Quant au condamné lui-même, assis devant sa petite table de bois, sur laquelle on a placé le crucifix entre deux flambeaux, sa face, convulsée d'horreur, nous dit assez ce qui se passe dans son âme. Le tableau tout entier est peint dans une gamme sombre et puissante, le module plein de relief et de vigueur. Quand on fait du réalisme, c'est ainsi qu'il faut en faire. »
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Castagnary Jules-Antoine, Le Siècle, 13 mai 1870 :
« Je reviens aux œuvras vraiment origina les du Salon, et tout d'abord je trouve le Dernier jour d'un condamné, de M. Munkacsy.
M. Munkacsy est élève de l'académie de Düsseldorf. On ne le saurait pas par le livret, qu'on le reconnaîtrait au caractère de ses figurines et à leur intelligente disposition. Mais il y a chez lui plus qu'un arrangeur comme M. Vautier, plus qu'un physionomiste comme M. Knauss, il y a un peintre, c'est-à-dire un homme dont l'œil est propre à saisir une scène sur nature, dont l'esprit est habitué à ne retenir du spectacle contemplé que ce qu'il en faut pour composer un tableau, dont la main enfin est habile à rendre par les moyens de la peinture, et l'impression que l'œil a gardée, et l'émotion que le cerveau a ressentie. Qualités vraiment rares et qu'il est impossible de ne pas admirer, quand on songe à la stérilité de ces prétendus continuateurs du grand art qui vont chercher leurs sujets dans les livres, les composent à l'aide de réminiscences classiques, et, non moins dépourvus de métier que d'invention, ne peuvent faire tour à tour que du dessin sans couleur ou de la couleur sans dessin !
La scène que M. Munkacsy place sous nos yeux, il l'a vue. C'est un trait des mœurs de son pays. En Hongrie en effet, quand un homme a été condamné à mort, l'usage est que, trois jours avant l'exécution, les portes de la prison s'ouvrent au public, admis à contempler le malheureux dans sa cellule. Sur une petite table recouverte j d'un drap blanc, un crucifix se dresse entre deux cierges allumées. A terre est posée une sébille ; l'argent qu'y jettent les visiteurs servira plus tard à faire dire des messes pour le supplicié. L'épisode, on le voit, est exotique, emprunté aux pratiques des peuples étrangers ; mais nous n'avons pas à nous en formaliser. Peintre hongrois, peignant les mœurs de la Hongrie, M. Munkacsy fait précisément ce que nous demandons aux peintres français de faire : il s'exprime sur les choses de sa compétence, c'est-à-dire sur celles-là seulement qu'il a pu voir et sentir. Aussi reste-t-il sans reproche devant l'esthétique nouvelle, dont les prescriptions fondamentales se limitent à ces deux termes généraux, naturalisme et indigénat.
Cette scène tragique, M. Munkacsy l'a traduite avec une puissance d'émotion rare. Rien de théâtral. Ni violence, ni déclamation, ni exagération d'aucune sorte : un immense désespoir contenu. La lumière, celle d'une belle journée de soleil, pénètre par un soupirail au plafond, gaie en haut, triste et mélancolique en bas, enveloppant daas sa dégradation savante les attitudes et les physionomies de la foule. La femme du condamné s'est retournée contre le mur pour étouffer ses sanglots et dissimuler la terreur qui l'affole. Quant à l'enfant , une petite fille, ne comprenant rien à ce qui se passe, mais impressionnée par la douleur de tous, ne se rendant pas compte que l'homme robuste et fort qui est là devant elle et qui est son père, disparaîtra demain, et qu'elle ne le reverra jamais, plus jamais, elle se tient debout, pauvre innocente, et grignote lentement un morceau de pain dur. Le soldat autrichien qui veille à la porte du cachot est admirable dans sa pose indifférente et sympathique à la fois. Seul peut-être, le condamné ne me satisfait pas : il est sombre, je l'aurais voulu abattu ou révolté. Et puis, en ce qui le concerne, un souci m'assiège. Si c'est là un assassin vulgaire, une de ces âmes basses et viles que la soif de l'or a rendues criminelles, ah! vous m'avez surpris ma pitié. Je ne veux pas m'émouvoir pour un de ces misérables, qui transgressant sans cesse les plus simples notions de l'humanité, empêchent la bonté da s'établir sur terre. Je n'ai et je n'aurai jamais de larmes que pour les défenseurs du droit, pour les victimes de la tyraunie. Celui-là a-t-il été arrêté dans ces luttes obscures de la société civile, où l'honnête homme si souvent trébuche aux traquenards de la loi ? A-t-il été pris les armes à la main sur un champ de bataille, combattant pour l'indépendance de sa patrie ? Rien ne l'indique, et le doute où je reste me trouble profondément. Je vous en supplie, monsieur le peintre hongrois, vous qui, pour votre premier envoi à Paris, avez eu ce suprême bonheur de désarmer la critique et d'apitoyer les cœurs, venez à notre secours. Ne laissez pas notre sensibilité complice d'un lâche assassin. Dégagez-la. Un signe, un bout de drapeau, un accessoire quelque part, qui montre bien que votre héros est un patriote, et que notre jugement est droit, et que vos intentions, sont pures. C'est un détail insignifiant en apparence, mais ce détail, je vous le jure est nécessaire : il sera la lumière de votre composition, comme la justification de nos éloges ! »
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Lauzière-Thémines Achille de, La Patrie, 20 mai 1870 :
« Quant à M. Munkacsi, de Munkacs (Hongrie), son sujet est d’un ordre d’idées tout à fait opposé. Là, tout est gai, amusant, finement spirituel, tout brille, tout fait sourire. Ici, la scène est sombre et triste jusqu’au lugubre ; et la peinture, pour répondre au sujet (qui est le Dernier jour d'un condamné) a dû se tenir dans des tons gris et sévères. C’est d’une coutume hongroise — coutume qui était autrefois dans l'Italie méridionale aussi, à Naples notamment — que le peintre s’est inspiré.
En Hongrie, trois jours avant l'exécution, le public est admis dans la prison à visiter le condamné qui va expier son crime. L’argent donné par les visiteurs est destiné à faire dire des messes pour le repos de son âme. — Examinez la composition d’abord, embrassez le tableau d’un coup d'oeil général ; voyez comme tout est bien disposé, bien équilibré, tout à sa place ; passez ensuite au parti de lumière, aux valeurs des tons, aux lignes principales ; allez enfin au détail ; observez la pose, l’expression de chacun des personnages du tableau : celle du condamné, fier et sombre, celle de la femme qui demain sera sa veuve, des enfants, des visiteurs, tant qu’ils sont ; et dites si ce tableau ne mérite pas une médaille. Je suis sûr qu’on la lui donnera à l’unanimité. »
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Clément Charles, Le Journal des débats, 24 mai 1870 :
« Je parlerai, pour terminer, d'un peintre de l'école de Dusseldorff, M. Munkacsy, qui expose à Paris pour la première fois, je crois, et dont le tableau intitulé le Dernier jour d'un condamné, excite un très vif intérêt. Le sujet se rapporte à un usage hongrois. "En Hongrie, dit le livret, trois jours avant l'exécution, le public est admis dans la prison à visiter le condamné qui va expier son crime." Le prisonnier est assis dans l'attitude du plus extrême accablement. Il appuie un de ses bras au dossier de sa chaise, et l'autre main, à une table sur laquelle se trouve un crucifix entre deux cierges. Près de lui sa femme pleure appuyée au mur. Son enfant, un charmant petit garçon à la tête blonde, debout, immobile, la main à sa bouche, ne comprend rien à cette scène, et a pourtant l'air d'être saisi de la tristesse générale. A l'autre bout de la prison, une femme serre son nourrisson contre son cœur ; des voisins, des enfans qui se haussent sur la pointe des pieds pour voir par-dessus la table, examinent le condamné : chez les uns, c'est de la curiosité ; chez les autres, de la pitié ou de la crainte. Cet ouvrage est très saisissant. Tout y est vivement senti et représenté avec force et netteté, mais les attitudes, les expressions justes et intéressantes sont un peu prévues, un peu communes, de sorte que cet ouvrage ne gagne pas à un second examen. L'exécution est celle de l'école de Dusseldorff. L'aspect de l'ensemble, presque monochrome, a beaucoup d'unité. En somme, M. Munkacsy a certainement beaucoup de talent, mais je crois qu'on s'est trop hâté de le mettre au rang de MM. Knauss et Vautier. Ne nous pressons pas, n'exagérons rien, et attendons un nouvel ouvrage. »
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Fournel Victor, La Gazette de France, 31 mai 1870 :
« Le 30 avril, M. Munkacsy était encore un inconnu, comme M. Leibl ; le 1er mai à midi, il était déjà presque célèbre parmi les amateurs. Par la vérité de la mise en scène, la justesse parfaite des expressions et des attitudes, la profondeur d'une émotion sans emphase, sans violence, sans déclamation théâtrale, la sombre harmonie d'une couleur assortie au sujet et d'une lumière savamment dégradée, le Dernier jour d'un Condamne est l'une de ces toiles devant lesquelles le plus blasé aurait peine à passer indifférent. L'accent local, - nous sommes en Hongrie - donne une saveur de plus au drame ; et ce qui, à nos yeux, le rend plus digne d'attention encore, c'est que l'auteur sort de l'école de Düsseldorf, vouée généralement, depuis plusieurs années, au culte des tableaux de genre et des sujets familiers, et qu'on a pu accuser, non sans apparence de justice, de trop discipliner l'inspiration de ses élèves, qui emboîtent le pas les uns derrières les autres avec une régularité toute militaire, opèrent leur évolution par mouvements d'ensemblent, et traitent tous à la fois les mêmes sujets. »
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Delaborde Henri, La Revue des deux mondes, 1er juin 1870, p. 705-707 :
« Toutefois parmi ces produits de l'art étranger il en est un que la critique ne saurait indiquer d'un mot, encore moins passer sous silence, parce qu'il révèle en même temps qu'un grand talent un instinct drmatique qui ne recule pas devant l'horrible : nous voulons parler de cette composition lugubre, véridique comme un procès-verbal, effrayante comme un mauvais rêve, que les Derniers moments d'un condamné à mort en Hongrie ont inspirés à M. Munkacsy.
Devant une petite table recouverte d'un linge blanc brodé de noir, appareil d'un deuil anticipé, en face du crucifix et de deux cierges aux lueurs funèbres, le misérable que la justice humaine a condamné est assis, immobile sous le poids de ses fers et sous le poids plus cruel encore des souvenirs et des terreurs qui écrasent son âme. Sans regard pour ceux qui l'entourent comme pour l'image du Dieu de miséricorde, il vient d'user ses dernières forces, de proférer son dernier blasphème en lacérant le libre de prières qu'on lui avait tendu et qu'il a rejeté à ses pieds ; maintenant, cadavre vivant, il attend dans l'inertie du désespoir l'heure prochaine où il achèvera de murir. Derrière lui, sa femme sanglote contre la muraille, tandis qu'à quelques pas son pauvre enfant isolé, oublié même de sa mère, n'ose ni bouger de la place où on l'a laissé, ni relever la tête pour voir et tâcher de comprendre ce qui se passe. Rien de plus tristement expressif, rien de plus navrant que l'aspect de ce petit être en haillons, orphelin avant la mort de son père et présentant instinctivement le malheur autour de lui ; rien de moins équivoque non plus ni de mieux rendu que la sombre curiosité des assistants et la diversité des impressions produites sur eux par le sinistres spectacle. Point d'excès en aucun sens, nulle exagération dans les moyens employés pour caractériser l'indifférence du factionnaire qui garde le condamné, ou la pitié mêlée de peur qu'éprouvent une jeune fille placée à gauche et vers le milieu de la scène une jeune mère portant son enfant dans les bras. Tout est émouvant par la seule force de la vraisemblance, tout serre le coeur par l'image sans merci de la réalité ; mais, si effroyable qu'elle soit, cette réalité garde sa proportion et sa mesure, les formes qui la reproduisent sont tout en rapport exacte avec ce qu'il a dans un pareil sujet d'énergie farouche et concentrée. L'exécution, très simple, se réduisant même dans certaines parties à des indications de dessin et de modelé sommaires, procède d'un sentiment profondément judicieux et d'une science ferme sous des apparences faciles. Le coloris est d'une intensité sourde, d'une harmonie étouffée, d'une vigueur en quelque sorte silencieuse. On dirait que les choses, comme les hommes, se taisent dans ce lieu de désolation et d'angoisse, et quand se glissant à peine par une étroite ouverture au fond du cachot, la lumière elle-même refuse d'apporter un simulacre de vie là où déjà tout appartient à la mort.
Et maintenant, si tout incontestable qu'en soit le mérite, une oeuvre de cette espèce peut-elle être acceptée comme un bienfait ? La peinture a-t-elle le droit de demander ainsi des thèmes aux tragédies de cour d'assises, des inspirations à l'échafaud ? "L'art, écrivait Ingres, ne doit être que le beau et ne nous enseigner que le beau," et il ajoutait : "Je ne proscris pas pour cela les effets de la pitié ou de la terreur, mais je les veux tels que les a rendus l'art d'Eschyle, de Sophocle ou d'Euripide." Assurément la poétique de M. Munkacsy est tout autre. Non seulement, dans le tableau dont nous parlons, il n'a pas prétendu nous informer du beau ; mais, pour exprimer le terrible, il n'a pas craint de choisir ce qui implique le moins l'idée de la dignité, ce qui pouvait le plus complétement démentir les principes ou les traditions antiques. Il a voulu être dramatique à force ouverte, historien du fait sans réticence, peintre de la plus hideuse misère physique et morale sans aucune concession aux besoins mystérieux de notre âme, aux espérances ou aux consolations que l'art doit porter avec lui. En cela, il a méconnu les lois mêmes de la peinture, la principale fonction du talent, et nous n'hésitons pas, pour notre part, à réprouver un art qui, loin d'élever notre intelligence, tend à la confiner dans des émotions sans issue, dans les bas-fonds d'une tristesse poignante ou d'une épouvante stérile. Cette protestation une fois faite, comment ne pas reconnaître dans le tableau de M. Munkacsy les témoignages d'une rare vigueur, les preuves d'un talent aussi original que fortement trempé ? Il y a là, j'en conviens, une erreur grave, presque coupable, une offense au goût et à la religion du beau ; mais, pour prêcher l'hérésie avec cette éloquence, il faut une singulière puissance de conviction, et ceux qui reprocheront au peintre de s'insurger contre les saines doctrines ne refuseront d'honorer sa sincérité dans la révolte que de rendre la justice qu'elle mérite à son énergique habileté. »
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Ménard René, La Gazette des beaux-arts, 1er juillet 1870, p. 43 :
« Il faut pourtant faire une exception en faveur d'un nouveau venu, qui se place dès ses débuts au premier rang parmi les peintres de genre, M. Munkacsy. Le Dernier jour d'une condamné obtient cette année un véritable succès. En Hongrie, trois jours avant l'exécution, le public est admis dans la prison à visiter le condamné qui va expier son crime. C'est cet usage hongrois qui a fourni à M. Munkacsy le sujet d'un tableau presque monochrome, mais saisissant par l'effet et l'expression. Le prisonnier, assis près d'une table sur laquelle est un crucifix entre deux cierges, semble accablé sous le poids de ses idées. La femme placée près de lui s'appuie en pleurant contre un mur. Les curieux font cercle : les petits enfants se dressent sur la pointe des pieds pour voir le condamné par-dessus la table, et le factionnaire contraste par son impassibilité avec l'expression de curiosité ou de pitié peinte sur tous les visages. La prison est sombre et la lumière, en tombant sur les personnages, accuse davantage les physionomies. L'aspect a beaucoup d'unité, c'est un brillant début : néanmoins, pour connaître au juste la valeur de M. Munkacsy il faut attendre un nouvel ouvrage. »