La cinquantaine
Contenu
- Date d'exposition
- 1859
- Artiste
- Knaus, Ludwig
- Exposition
-
Salon de 1859
- N° au Salon
- 1669
- Médaille obtenue
- Rappel de 1ère classe
- Genre
- Peinture de genre
- Technique
- Peinture à l'huile
- Dimensions
- 112 x 167 cm
- Lieu de conservation
- Milwaukee, Grohmann Museum
- Anthologie critique
-
Jourdan Louis, Le Siècle, 22 avril 1859 :
Je suis préoccupé d'un tableau dont j'ai hâte de parler et qui, si je ne me trompe, est le premier des tableaux de genre exposés, non seulement cette année, mais depuis longtemps. Ce tableau, irréprochable sous tous les rapports, chaud et vrai de ton, bien dessiné, bien composé, a pour titre la Cinquantaine et pour auteur un peintre étranger, M. Louis Knaus, de Wiesbaden. Il me semble que je commettrais une injustice criante si je parlais de toute autre toile de genre avant d'avoir exprimé mon admiration pour celle-ci. M. Knaus n'en est pas à son coup d'essai, mais son talent n'avait pas encore cette plénitude, cette richesse et de coloris, cette sûreté de lui-même, qui le placent désormais au premier rang, primus inter pares. Ainsi, que le titre l'indique, on célèbre le cinquantième anniversaire du mariage de deux beaux vieillards, qui ouvrent gravement le bal champêtre, en plein air, sous la feuillée. L’orchestre villageois accompagne le pas cadencé du couple septuagénaire. Des groupes nombreux et souriants entourent les danseurs ; chaque tête a sa physionomie, son caractère distincts. Une jeune mère au visage rose et rebondi, cesse pour un instant de contempler le nourrisson qu’elle allaite, afin de sourire à cet heureux couple. Des enfants jouent, émerveillés et frais comme des pommes d'api, sous les grands arbres qui prêtent leur ombrage à cette scène patriarcale. Je vous recommande particulièrement un beau jeune homme, fièrement campé, d'une, incroyable finesse de fermes ; une jeune fille, sa fiancée sans doute, s’appuie à son bras et semble attendre que les violons ouvrent enfin le bal à son honneur. Tout cela peut être regardé à la loupe, c'est délicat et fini comme une miniature, et cependant ce n'est ni mièvre ni mignard ; c'est largement fait ; la couleur est chaude et vraie. Je suis resté là attentif pendant longtemps, cherchant un défaut dans le dessin, un contresens, un heurt quelconque dans les gammes de couleurs ; je n'ai rien trouvé et j'exprime sans réserve mon admiration. M. Knaus est un peintre de la grande école flamande, mais il est supérieur à son école, sinon comme procédé et comme exécution, du moins comme poète ; il est supérieur sous le rapport de l’idée. Chacune des innombrables figures qu'il a si habilement groupées autour des deux danseurs, enfants, jeunes gens, vieillards, est un type vrai, mais un type idéalisé. C'est ainsi qu'il faut comprendre le réalisme. Chaque fois que je vais au palais des Champs-Elysées, je suis attiré vers cette toile comme par un aimant irrésistible ; je n'ai pas souvenir d'une idylle plus harmonieuse et plus attachante. Nos jeunes artistes ne m'en voudront pas si je leur conseille de suivre et d'imiter ce maître, non de l'imiter en le copiant servilement, ce qui serait d'ailleurs assez difficile, mais en s'inspirant de ses conceptions, de sa pureté, de ses procédés. De tout ce que les artistes étrangers nous ont envoyé, rien n'approche de cette perfection. »
-
Delécluze Étienne-Jean, Le Journal des débats, 18 mai 1859 :
« D'après ma théorie sur la vraie gaité, j'ai cru en trouver une expression vive et très pure dans le charmant tableau de M. Knaus, la Cinquantaine. Deux époux dont l'union date d'un demi-siècle, entourés de leurs en fans, de leurs amis, dansent avec calme et satisfaction en souvenir de leurs jeunes années. Quoique âgés, le mari ainsi que la femme ont une belle vieillesse. Leurs fronts sont sereins, leur sourire gracieux, et, avec la petite coquetterie qui les fait tenir plus droits que de coutume, on voit qu'ils se sentent l'objet d'une curiosité très vive de la part de la jeune population qui les entoure. Cette scène se passe sous la feuillée ; d'un côté sont des jeunes gens des deux sexes ; de l'autre un jeune couple de fiancés sans doute, qui, disposés à danser à leur tour, regardent et comparent non sans émotion cette vieille union conjugale avec la leur qui commence Près d'eux sont de tout jeunes enfants qui par leurs cris et leur turbulence célèbrent à leur manière la fête de la cinquantaine, tandis qu'au fond du tableau on aperçoit les malins, les beaux esprits de l'endroit dont la langue est enchaînée par la dignité gracieuse des deux anciens époux.
Nous ne saurions donner trop d'éloges à M. Knaus, qui au mérite de cette charmante composition a su joindre les qualités pittoresques les plus précieuses, un dessin vrai et ferme, un coloris plein d'éclat et de vigueur. »
-
Tardieu Alexandre, Le Constitutionnel, 5 juin 1859 :
« M. Knaus (du duché de Nassau), élève de l'académie de Düsseldorf, n'a qu'une toile, la Cinquantaine, qui dès les premiers jours de l'exposition, a été proclamée un très piquant et spirituel tableau de genre. Deux époux célèbrent le cinquantième anniversaire de leur union ; ils dansent avec gravité et bonhommie, entourés de leurs descendants et de leurs amis. Là, tous les âges se confondent, tous prennent part à la joie inspirée par ce beau jour. Les plus jeunes enfants ont eux-mêmes leur expression, leur intention, et tous les visages disent quelque chose. C'est même ce que l'on pourrait jusqu'à un certain point reprocher à M. Knaus ; car un peu plus de repos et de tranquillité dans les physionomies eût probablement rendu son œuvre plus complète. Ce joli tableau ne semble pas avoir été fait d'après une vue d'ensemble. Chaque tête est étudiée à part et indépendamment de son voisinage ; le tableau est une collection de têtes d'expression, et c'est à tant par tête qu'on a dû le payer. Mais s'il y a quelque papillotage dans l'aspect général, cela laisse subsister beaucoup de finesse d'observation et une exécution très délicate, qualités rares qui maintiendront la Cinquantaine dans cette quarantaine de tableaux dont le souvenir reste distinct après chaque salon. »
-
Mantz Paul, La Gazette des beaux-arts, 15 juin 1859, p. 358-359 :
« Quant à M. Knaus, il tient son public par de si solides attaches qu'il n'en doit craindre aucune infidélité. Pour un critique d'humeur acerbe qui lui retirera sa sympathie, l'heureux peintre de Wiesbaden retrouvera vingt adhérents passionnés et convaincus : c'est que le talent de M. Knaus est très facile à comprendre, et qu'il est au contraire assez malaisé d'expliquer ce qui lui manque. La Cinquantaine est assurément un joli tableau ; les intentions spirituelles y abondent, les têtes charmantes y fourmillent ; on ne peut faire un pas dans ce bal rustique sans se trouver face à face avec une séduisante fille du duché de Nassau, avec un enfant rose et frais sous ses cheveux d'un blond d'or. J'ajouterai que M. Knaus a tenu compte des objections qu'on lui a faites jadis : il a voulu laisser à ses figures toute l'importance qu'elles doivent avoir, et il a sagement sacrifié ses fonds. Nous nous expliquons donc sans peine le succès qu'obtient son tableau ; et cependant nous hésiterions à affirmer qu'il y a dans M. Knaus un véritable tempérament d'artiste. Il fait la chasse aux petites intentions comiques, il est modéré dans son sentiment, et, pour en venir tout de suite aux gros mots, il est un peu bourgeois dans ses aspirations. De plus, son exécution, si attentive au soin du détail, et si désireuse de bien dire et de tout dire, manque de hardiesse et de solidité. Je lui sais gré toutefois de n'avoir pas peur des choses difficiles et de peindre loyalement les visages au grand air, en pleine lumière. Et puis, dans un temps comme le nôtre, lorsque les vanités s'affranchissent si vite de toute pudeur, lorsque les tentations mauvaises sont si puissantes sur les esprits vulgaires, c'est presque un mérite que de garder la naïveté de sa conscience et le respect de son art, si chétif qu'il soit. »
-
Du Pays Augustin-Joseph, L'Illustration, 2 juillet 1859, p. 19-20 :
« Le tableau de la Cinquantaine, par M. Knaus, est le premier qui attirera notre attention ; c’est celui qui a le plus excité la curiosité du public, et l’Illustration n’aurait point manqué d’en donner la gravure, si elle avait pu en obtenir l’autorisation […]. Le tableau de M. Knaus représente une fête villageoise, où deux époux célèbrent le cinquantième anniversaire de leur mariage. Leurs traits, pleins de bonhomie, donnent l’idée d’une vie probe et honorable ; leur vieillesse, encoure vigoureuse, leur permet de répéter devant la jeune génération du village un pas de danse du bon vieux temps ; leur garçon de noce, bien que les années l’aient déformé, se sent ragaillardir à ce spectacle qui lui rappelle sa jeunesse ; il fait la police et empêche l’enfance turbulente d’approcher et de venir troubler les deux danseurs émérites qui reparaissent un instant sur la scène. une bonne impression circule dans le cercle des assistants ; les anciens d’âge sont assis à l’ombre sur un banc, aréopage cachome dont le costume hétéroclite annonce la fidélité aux vieilles mœurs ; les jeunes couples, époux ou fiancés, regardent d’un air sympathique les deux vieux époux debout au milieu du cercle, et ils semblent sourire à l’avenir qui leur garde peut-être à eux-mêmes pareille fête. Une jeune mère, dans tout l’éclat de la sante, sourit d’un air tendre aux deux vieillards ; aucune expression moqueuse ne se mêle à ce concours de sentiments bienveillants. Deux hamins, imitant par une charge grotesque les joueurs de trombone et de trompette, forment seuls une légère dissonance dans cet ensemble harmonieux ; ils représentent l’esprit moins respectueux des générations nouvelles. Il y a beaucoup à louer dans le tableau de M. Knaus : outre l’habile disposition des groupes, l’heureux don d’invention des figures, dont les types vrais et les physionomies expressives ont une individualité qui se grave dans la mémoire ; mais, à côté de ces qualités mêmes, il y avait un écueil qui n’a pas été suffisamment évité : l’artifice de la composition se laisse trop apercevoir ; chaque figure semble trop être une pièce de rapport scrupuleusement étudiée à part et mise ensuite en place. Chacune attire individuellement l’attention et la rivalité de détails compromet l’unité de l’ensemble. C’est bien l’occasion de faire remarquer combien sont grandes les difficultés de l’art, et comment, dans une composition qui embrasse beaucoup de figures, l’artiste a continuellement à résoudre un problème délicat : celui de donner aux détails la juste valeur qui leur convient, et en même temps de les subordonner tous à l’unité du tableau. Dans la peinture de M. Knaus c’est principalement à l’inégalité du coloris qu’il faut attribuer le défaut d’ensemble que nous y signalons. La coloration de certaines têtes éclate çà et là d’une manière trop brillante et produit un effet de papillotage. Quelques-unes ne sont point éclairées par la lumière directe, mais semblent l’être par derrière, comme dans un transparent. À ces négligences il est facile de reconnaître du reste que l’artiste a dû être surpris par le temps et n’a point eu le loisir de mettre la dernière main à son ouvrage. Ces légères taches disparaîtront donc aisément. Il est, à notre point de vue, une observation plus grave que nous soumettrons à l’artiste : si les personnages de la Cinquantaine sont parfaitement en scène et attestent un esprit d’observation fin et délicat, la lumière n’y joue, à son tour, son rôle que d’une manière vague, intermittente. Elle aussi cependant, elle a droit de présence ; il faut lui assigner sa place, non point au hasard, mais selon les lois optiques qui donnent aux jeux d’ombres et de lumière adoptés par le peintre leur apparence naturelle et vraie. C’est là un côté très pittoresque de la peinture, et par cela même la grande peinture historique l’a volontairement sacrifié pour ne point distraire le regard, et afin de captiver exclusivement l’attention par l’élévation des conceptions, par le style des figures, par la beauté du dessin. La peinture de genre procède dans une autre direction ; elle fait alliance avec la réalité ; elle accorde une large part à l’accident, au détail ; elle vise à l’agrément pittoresque, et par suite, le clair-obscur, c’est-à-dire l’emploi de la lumière et de l’ombre, y acquiert trop d’importance pour être traité légèrement. Nous insistons sur cette observation, parce que c’est là une qualité négligée par les peintres ; un certain nombre même ne semblent point s’en douter. Il n’en est point ainsi dans la peinture de M. Knaus ; seulement nous pensons qu’il n’en tient point suffisamment compte ; qu’il ne serre point la difficulté d’assez près, et nous croyons que, s’il s’en préoccupait davantage, il serait amené à donner plus de solidité à sa peinture et à éviter de tomber dans les tons d’aquarelle qu’il semble avoir empruntés aux peintres anglais, et qui communiquent quelque chose de froid au coloris général du tableau de la Cinquantaine. »
-
Cantrel Émile, L'Artiste, 3 juillet 1859, p. 146-147 :
« Un peintre qui eut fait les délices de Sterne, le voyageur sentimental, c’est M. Knauss. Sterne qui s’émerveillait si joyeusement de voir les paysans provençaux et surtout les paysannes danser si follement leurs bourrées au beau milieu de la route, le soir ; Sterne, l’admirateur attendri d’un pauvre âne philosophe, quelles belles pages il nous eut données s’il eut été témoin de cette pastorale si gaiement philosophique, la Cinquantaine de M. Knauss ! Il y a tout à signaler dans cette page, qui est un chef d’œuvre d’observation, de verve, de finesse, - un peu trop de finesse même dans la facture, qui touche de bien près à l’aquarelle. Mais cette jeune mère allaitant son fils, ces petits enfants imitant de leur bouche et de leurs mains le trombone absent, ces vieillards, toutes ces têtes folles, jeunes, rieuses, blanches, réfléchies, - tout cela est charmant de verve, d’esprit et d’entrain. La cinquantaine ! il y a cinquante qu’ils se sont mariés, et ils sont encore jeunes de cœurs, vifs, alertes ; ils sont encore heureux : leur bonheur se lit dans la dignité naïve et calme de leur marche, dans l’éclat de leur regard, que les dévorantes larmes des malheurs intimes n’ont jamais altéré. Ils se sont remariés, et tout le village est en liesse et fête bruyamment son Philémon et sa Beaucis. Le repas, qui a commencé à la sortie de la messe, vient à peine d’être terminé ; le vent fraîchit, le crépuscule du soir va bientôt descendre, il est temps d’ouvrir le bal. Deux Gargantua de village continuent seuls de manger, assis sous le chêne plusieurs fois centenaires qui ombrage à lui seul toute la fête. Les musiciens sont à leur poste : un violoniste à la tête doucement rêveuse, - une rêveuse d’amours impossibles, - une contrebasse chagrine, une clarinette effarée. Les marmitons frisés et les chiens du pays passent la vaisselle en revue, les enfants crient, se roulent sur l’herbe, dans les jambes des spectateurs. Les deux cinquantenaires donnent le signal des danses, un vieux brèche-dent élégant s’avance comme pour leur rappeler les pas qu’ils devraient faire ; les trois Nestors du village sont assis, l’un, une grande tête blanche frisée, semble écouter des harmonies autres que celles de l’orchestre, il suit dans l’air la ronde capricieuse et chantante de toutes les années passées, dont chacune vient apporter un souvenir tout parfumé de verdoyantes amours. Les deux autres sont coiffés de grands tricornes et rappelles ces magnifiques bourgmestres du temps du réalisme flamand, un réalisme qui valait bien le nôtre. L’un fume et s’absorbe dans un quiétisme absolu, l’autre songe et regrette. Mais, je le répète, tout serait à détailler : le vieillard souriant qui tient dans ses bras sa petite-fille qui veut voir danser les grands parents, le chien qui regarde la danse du couple cinquantenaire, les petits enfants qui sont tous charmants et espiègles. Le tableau de M. Knauss est un des succès les plus francs du Salon. »
-
M. de Lescure, La Gazette de France, 6 juillet 1859 :
« Le chef d’œuvre de cette série est la Cinquantaine, de M. Knaus. Le grand père et la grand’mère fêtent sur la pelouse l’anniversaire de leur bal de noces. Il faut voir la dignité rubiconde de l’aïeule, la solennelle galanterie de I ainé. En face, au plan de gauche, deux jeunes enfants, bientôt doux jeunes gens, appuyés l’un sur l’autre, attendent pour s’aimer tout de bon qu’ils soient un peu grandis, et en attendant font les amoureux pour rire. L’air de sentimentale protection du futur jeune homme, sa gravité précoce, la pudique confiance de la jeune fille, tout cela est rendu avec un bonheur exquis. Il faut voir en dessous de ce groupe de prédilection les yeux écarquillés et les bouches béantes des gamins joufflus. De l’autre côté, une jeune mère rubiconde donne le sein à son premier né, et c’est une idée ingénieuse d’avoir des deux côtés de cette fête du mariage, groupé I’amour naissant et l’amour heureux, la fleur et le fruit du bonheur. Remarquez encore, assis sous le tilleul séculaire, ces trois vieillards l’un insoucieux, aimant mieux sa pipe que tout le reste, et la fumant flegmatiquement ; l’aimant pas même assez sa pipe pour la fumer ; l’autre assombri, accoudé sur ses souvenirs et penché sur ses regrets. Remarquez surtout ce ver galant, l’ex-coq du village, qui veut prendre sa part de la danse, et accourt vers le groupe des valseurs octogénaires en faisant claquer sa langue sur sa mâchoire édentée à mordre le fruit défendu. Remarquez enfin le marmiton affairé à son récurage et l’enfant à la croûte beurrée, et le chien familier, et le musicien abruti de sa propre harmonie, et ne vouant plus à son air, mercenaire de la musique, qu’une mécanique attention, et le pasteur qui sort de la cure et traverse l’avenue du haut, en montrant à travers les arbres un visage satisfait.
Si la couleur valait l’expression, si le peintre était égal dans M. Knaus à l’artiste, nous aurions un chef de plus. Il faut tout l'esprit de la scène, toute té des figures pour faire oublier ce procédé sec et lisse qui métallise la couleur. »
-
Saint-Victor Paul de, La Presse, 9 juillet 1859 :
« Il ne sied pas à un peintre d'avoir trop d'esprit. La cinquantaine, de M. Knaus est si spirituelle qu'on ne sait ce qui l'emporte dans ce tableau, de la littérature ou de la peinture. – Si vous aimez les romans d'Auguste La Fontaine, vous serez charmé du bal champêtre où les deux doyens du village fêtent leur demi-siècle conjugal. Avec quelle touchante lourdeur se trémousse ce bonhomme à redingote pastorale ! Sa vieille compagne lui tient tête, en souriant dans ses rides. Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans. Le village fait cercle autour du couple vénérable. Le magister, enguirlandé de feuillage comme un vieux sylvain, s’élance en criant ? Vivat ! Une jeune mère aux joues de pêche, aux boucles d'or, regarde avec un rire attendri la valse séculaire ; deux fiancés enlacés la suivent d'un regard rêveur ; des marmots roses et joufflus se faufilent pour mieux voir dans les fentes des groupes. On dirait les Heures, les jeunes Heures, depuis celle de l’Aurore jusqu'à celle du Midi, regardant danser le Temps avec une douce ironie. Derrière les grands ormes qui ombragent la fête, s'égosille un bruyant orchestre. Des vieillards, coiffés de tricornes, fument ou ruminent le banquet rustique auquel s'acharnent encore deux convives obstinément attablés. En vérité, on ferait un livre de ce tableau, tant il est rempli de curieux détails et d'intentions spirituelles. C’est l’églogue allemand dans toute sa candeur, telle qu’elle fleurit aux bords du Neckar. Quin'a traversé ce charmant pays ? qui ne se souvient de ces maisonnettes enguirlandées de houblons portant des fleurs à leurs fenêtres et des cages à leurs balcons ? De petites villes familières vous accostent aux deux côtés de la route, et semblent prêtes, tant elles ont l’air honnête, à ôter le bonnet d'étain qui coiffe leur clocher, pour vous saluer au passage. On dirait ces cités mystiques que les Saints Patrons portent sur la paume de leur main dans les tableaux à fond d'or. Par les croisées entr’ouvertes apparaissent de charmants tableaux d'intérieur ; des fileuses à leur quenouille, des enfants dormant dans leur berceau d'osier, sous la garde d'un chat assoupi ; des servantes étendant des linges ou accrochant par la patte des oiseaux morts au clou des fenêtres. Une bonhomie idyllique remplit la campagne. On croirait traverser ces paysages de Gessner, où Daphnis garde ses troupeaux en fumant sa pipe de porcelaine, tandis que Ménalque et Tityre chantent le Ranz des Vaches aux échos d'Arcadie, et prennent pour arbitre de leur lutte bucolique un pasteur qui se promène dans une allée de tilleuls, la bible de Luther sous le bras.
Je fais l'école buissonnière dans le tableau de M. Knauss avant d'arriver à son examen. Il vaut mieux le lire que regarder ses vignettes. Le livre est intéressant, mais faiblement illustré. Le pinceau de M. Knauss est tombé dans une eau fade d'aquarelle ; il ne peint plus, il détrempe : on voit à travers ses figures teintées d’un lavis jaunâtre. Nous lui reprochions autrefois de faire empiéter ses fonds sur ses personnages, il pratique aujourd'hui lu défaut contraire. Son paysage de la Cinquantaine est absolument sans valeur. Qu'il y a loin de cette maniéré frêle et mièvre à la grasse et solide peinture du Lendemain d'une fête de village. »